vendredi 19 février 2010

En Terre d'Ailleurs


Il y a des songes dont on ne revient pas, de petits endroits précieux et jalousement dissimulés, aux vastes étendues sans fin peuplées d'arbres et d'Océan, qui sont le seul refuge pour les voyageurs égarés, les somnambules funambules, les marins aux barques chavirées et les poètes rêveur au cœur éponge.


A l'heure du coucher, quand la fatigue venait à caresser mes paupières endolories, j'avais préparé mon baluchon la veille ou juste avant, n'y mettent que de précieux objet dont l'inutilité pouvait toujours se faire ressentir.
Mon vieil ours en peluche aux coutures étirées, un bouton de manteau à quatre trou, très important les quatre trous, une photo jaunie d'une île inconnue indiquant le nord, une grosse paire de chaussettes rafistolées au pouce gauche et un paquet de biscuit aux pépites de chocolat mais qui avaient déjà été soigneusement retirées et dévorées par l'inquiétant locataire de mon placard.
J'étais prêt pour mon voyage vers l'Ailleurs, contrée aux mille dangers mais dont la beauté était dissimulée aux hommes-fourmis, qui accaparées par leur quotidien, se contentaient de soupirer très fort ou de crier très haut que tout cela n'est que pure invention et que seul leur monde existait.

La fourmilière et ses usines aux bras sans visages produisaient en permanence frustration, jalousie et regrets, leur offrant cette monnaie de pacotille qui semblait pourtant leur suffire.
Mais en Terre d'Ailleurs ce n'étaient que de petits bouts de papier très laids ne servant qu'à allumer mon feu de joie quand la nuit se faisait trop froide ou trop solitaire, ou quand terrassé par la fatigue pour faire fuir ces loups, insatiables joueurs aux sourires malicieux et dont la triste sérénade berçait mon sommeil agité par les souvenirs d'ici.

"A-t-on jamais vu qui que ce soit acheter une once d'amour, une lichette de larme ou un grand éclat de rire avec cette monnaie de fourmi", s'était écrié le Roi des Loups au milieu d'un festin donné en mon honneur pour m'accueillir, moi le petit homme de Lune.



J'aimais retrouver mes amis en Terre d'Ailleurs, même si pour cela je devais parcourir de vastes étendues hostiles, aux sables chauds et aux dunes dorées dont la hauteur semblait lécher l'astre de feu dont le regard brûlant perçait tous mes secrets et m'affaiblissait au fil du temps qui semblait s'allonger inexorablement. Comme si tout ce sable ne voulait plus regagner le grand réceptacle de la vie, horloge immense dont les aiguilles parfois venaient à me tit
iller les pieds quand le réveil se mettait à résonner au loin.

Il y avait là de terribles prédateurs attirés par la douceur de ma peau trop claire et le son des petites comptines que je murmurait, les yeux clos, à mon ourson blottit contre mon cœur. Il fallait que je le rassure, il était si fragile et peureux que le moindre bruit, moindre souffle du vent parvenait à le faire trembler et parfois un petit cri plaintif parvenait à mes oreilles, quand je le faisait regagner mon sac en toile de nappe.

Je marchais depuis des heures, des semaines ou quelques seconde quand au loin j'aperçus enfin l'immense forêt des gens du formidable cirque Tetrallini, autrefois sous le joug de maîtres fourmis mais qui aujourd'hui avait trouvé sa place au milieu des arbres dansant.
Mais il fallait que je garde encore un peu mes yeux fermés, pour que les démons affamés du désert ne me vois pas et que les rayons qui me dévisageaient ne parviennent pas à deviner ce à quoi je pensais.

Enfin je gagnais la clairière dont la fraîcheur parvenait à instantanément panser mes brûlure et offrait à mon regard mille merveilles et mille senteurs enivrantes. J'enlevais mes petite chaussures en toile et sortait mon paquet de biscuit afin de grignoter un coin.



J'aurais tant aimé m'enfoncer plus loin, traverser le ruisseau de coton et de lavande, me laisser porter par dessus la colline des Amour aux Soupirs par de grands aigles voltigeurs et dont l'agilité m'impressionnait. Courir sur le sentier des coquillages au doux parfum de cannelle, jusqu'au bout, tout au bout. Puis passer à travers le grand tronc, où est gravée la merveilleuse phrase, que la voix de nulle part me murmura à l'oreille une nuit où je m'étais perdu dans ces bois : « En offenser un, c'est les offenser tous », et me présenter devant la roulotte de Hans l'illusionniste et de sa douce Frieda, sans oublier de cueillir au passage un bouquet de fleurs sauvages et colorées pour les belles Daisy et Violet, simplement pour les saluer, accolade chaleureuse et étrange car finissant toujours par de longs rires cristallins et mélodieux, déclenchant une grande farandole où jamais plus aucune fourmi ne viendrait se moquer ou s'apitoyer sur nous.

Mais il se faisait déjà tard et j'étais attendus à l'autre bout de ce monde, juste après les Îles aux Enfants Oubliés, infestées par ces terribles crocodiles aux yeux jaunes et vitreux mais dont la lenteur et la maladresse, faisaient rire aux éclats d'autres petite hommes lune, eux aussi évadés de la fourmilière et qui là, avaient trouvé un refuge où ils attendraient que l'éternité se couche sur l'Océan pour retrouver leurs souvenirs.

Mon bateau n'était plus très loin car jusqu'à moi parvenait le son de la cloche annonçant le proche départ.
Je dévalais la pente en riant, les yeux en larmes et mon cœur semblant précéder chacun de mes pas. De mon sac, dépassait la tête mon ourson où sur son visage, malgré son œil manquant, semblait se dessiner un large sourire car lui aussi, il savait...



"Au bateau matelot où mon sabre vous poussera au bout de la planche", criait le capitaine Big Jack Horner, terrible boucanier dont le nom était craint bien au-delà de la fin des mers au reflets d'azur. J'arrivais devant la passerelle vétuste mais qui sous mon poids léger n'émit aucun craquement et enfin j'embarquais sous le regard amusé de Jack qui au passage en soulevant son bandeau me fit un clin d'œil.

Je m'installait à l'avant du bateau, assis tenant mon ours contre moi et passait le temps à compter les lever de soleil et les coucher de lune, dame Lune qui un jour m'enfanta au détour d'un poème qui fit couler ma première larme et dont le sanglot étouffé parvint jusqu'à elle.
Là-haut la vigie chantait à tue tête une vieille chanson de marin que tous reprenaient en cœur. Les canonniers crabes nettoyaient leur armes, les matelots baleine hochaient la tête en lavant le pont, faisant semblant d'ignorer les quolibets peu gracieux que leur lançaient les armuriers dauphins.

A la barre Big Jack fixait l'horizon empourpré et dont les couleurs faisaient naître un halo, qui me rappelait l'arc-en-ciel au pied duquel vivait mon ami Warwick, comptant et recomptant ses pièces de papier doré, fumant sa vielle pipe au parfum d'ambre et de musc.
Quand arriva le moment de se séparer, tous entonnèrent un chant triste sans paroles, les mousses sardines firent descendre ma petite barque et délicatement me déposèrent à l'intérieur. Je regardais une dernière fois le grand bateau pirate s'éloigner toutes voiles dehors, puis je fixais l'horizon où se découpait enfin les contours de ma Terre d'Ailleurs.

Le vent était le premier à m'accueillir, gonflant la frêle voile de mon esquif, poussant, tirant, pour me laisser m'échouer avec une certaine délicatesse sur la plage aux Rivage Inconnu, bout de sable où il y avait là cette petite cabane que j'avais battit avec mon ourson lors d'un précédant voyage. J'étais chez moi...



La nuit n'allait pas tarder, déjà on apercevait le bord de son long manteau étoilé. "Vite, vite ", me soufflait mon compagnon de peluche, "il ne faut pas faire attendre mère". Je vidais mon sac sur le sol et attrapait le bouton à quatre trou. Voilà, mon ourson, devenu bien plus grand que moi, enfin recouvrait la vue pour assister au magnifique spectacle que la nuit allait nous offrir. Je me blottissais contre ses gros bras cotonneux car la fraîcheur m'avait saisi comme cette mélancolie qui m'envahissait à chaque fois. Il y eu de nombreuses étoiles filantes, cavaliers fous parcourant le ciel sans but ni finalité mais dont la cavalcade lumineuse nous enchantait. Les nuages porteur de pluie s'effaçait lentement dans une grande révérence car la reine était annoncée.

Dame Lune arriva, répandant ces longs doigts à la pâleur enivrante, illuminant mon visage émerveillé par tant de beauté et resta là, à mes côtés, près de moi me chuchotant de merveilleux mots silencieux qui nourrissaient tendrement mon cœur fêlé.


Bientôt les premières lueurs de l'aube assassine, allaient apparaître tout là-bas, juste au-dessus de l'horizon assoupi et je savais qu'elles annonceraient l'heure de mon retour.
Mon compagnon tristement me regarda et se dirigea lentement vers la cabane, traînant ces pattes sur le sable de notre plage où de nombreuses fois nous avions bâtis de fantastiques châteaux aux greniers remplis de secrets. Je rentrais à mon tour, sans me retourner pour ne pas blesser ma tendre Lune et récupérait mon ballotin, prêt, bien malgré moi, à retrouver cet univers fourmilière où je n'existais pas, où je n'étais rien, juste un petit homme lune, blessé, maltraité et solitaire.

Le monde des fourmis déjà devait s'agiter, allant jusqu'à bruyamment heurter le vernis délabré de mes volets en bois, mais que la pluie, gardienne de mes peines, chasserait par bourrasque à tour de bras.....

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