mercredi 25 mars 2009

Jimmy dans l'Arène




Jimmy ne sait pas dire non, assez, Jimmy ne sait pas dire "j'ai mal".
Il ne sait que détourner son regard quand personne ne l'observe et partir, s'enfouir dans les ténèbres de la nuit quand les lumières des réverbères éclairent les rues désertes, que les chats s'étirent et s'apprêtent à emprunter les toits brûlants, que les lumières amicales aperçues au loin ne sont plus un havre de paix, un phare le guidant vers une douce accalmie.
Jimmy ne sait toujours pas ce qui le pousse à rechercher l'autre, l'ami(e), la compagne d'un rire, l'amante d'un regard, mais il sait que quelque chose brûle démesurément en lui, quand un parfum vient à croiser son chemin, quand un effleurement lui rappelle qu'il est aussi un corps.
Il y a eu tant de fausses routes aux impasses brumeuses, tant de portes closes quand le crépuscule du soir venait à étendre ses longues ailes soyeuses et scintillantes, tant de déception et de regrets aux amertumes blessantes, qu'aucune logique ne l'entrave plus à présent, aucune question ne trouve la moindre réponse dans son esprit agonisant. Jimmy est perdu, Jimmy s'est perdu...
Il y a ces gens autours de Jimmy qui d'un mauvais œil l'observe, le décortique, l'autopsie, tirant, coupant et arrachant sa carapace d'argile et de lin, comme pour mieux s'en repaître, s'en abreuver , qu'il est difficile de résister à cette faim tenace, à cette soif abrutissante.
Repu, amusé, rassuré, cette carcasse de Jimmy n'avait plus d'utilité et déjà au loin le son du cor annonce la prochaine chasse pour une victime à battue. Il faut partir chuchotaient-ils, lui tournant le dos avec cet immonde sourire en coin défigurant leurs visages de prédateurs insatiables.
Laissant là un Jimmy agonisant.
Quand le jeu s'arrête, que l'intérêt n'est plus aussi aiguisé, que le rire n'est plus qu'un lointain écho, la solitude amante revient panser les plaies, recoudre les vilaines coupures apparentes et doucement lui prendre la main pour lui indiquer le chemin de l'exil, là-bas après que l'horizon ne sera plus qu'un souvenir, il y aura sûrement quelque chose, quelqu'un pour lui dire simplement par un tendre regard, par un silence réconfortant, c'est fini...
Parfois Jimmy sentait son cœur vibrer un peu plus fort, doucement il sentait ses pulsations s'accélérer, comme si l'aiguille du temps avait cessé de planter sa pointe sur son dos, lui offrant là une inattendue occasion de s'arrêter, de lever ses yeux vers cet autre, vers celle et celui qui l'interpellait au doux nom d'ami. Comme si tout ce temps passé dans les limbes de l'incompréhension avait finalement un sens, comme une évidence qui à présent se dessinait devant ses yeux, juste ici à travers la nuit où la pluie redonnait à son visage une étrange lueur inhabituelle, celle de la joie et de la gratitude.
Que Jimmy était naïf, il désirait tant s'offrir et peu être recevoir ici ou là un peu d'attention et qui sait une once de tendresse, que le passé aux tourments tortionnaires s'évaporait déjà. L'amnésie tant espérée enfin s'emparait de lui, rouvrant aux quatre vents les portes de bois usés et les
grandes fenêtres aux volets grinçant donnant sur cette sombre pièce ou somnolait son âme affamée, dansant la farandole au risque de s'enflammer au contact de la cheminée aux braises de papier manuscrit. Son toit de paille s'envolait déjà, ses murs de carton pâte se lézardait et pourtant
Jimmy se sentait en lieu sur, réapprenant l'alphabet, composant de fabuleux mots au doux son de confiance, de partage et d'écoute comme si l'enfant qui se cachait dans son placard enfin pouvait pousser la porte, même quand la nuit était sombre et que sous le lit de curieux bruits éveillaient son imagination faisant tressauter son esprit quand la terreur lui titillait les sens.
Pourtant une nuit, alors que mère Lune veillait sur lui, que la joie incandescente se reflétait dans son regard, l'évidence vint le frapper de toute sa force, de toute son horreur avec ses cohortes de certitudes bestiales et sans la moindre pitié. Tout cela n'était qu'un nouveau jeu, un simple miroir
aux alouettes, fascinant de complexité car il y avait bien là une perversion infime mais pourtant visible à présent. Ces amitiés nouvelles n'avaient pas cette précieuse valeur qu'il voulait tant leur accorder. Jimmy n'était plus qu'un ami de pacotille, seulement un second choix dont la présence ne faisait que combler ces instants emplis de vide et d'attente, un faire valoir plaisant, conciliant, saltimbanque ou ménestrel selon le bon vouloir des maîtres du château mais ne se voyant remettre pour tout cachet que ces amitiés de passages, qui aux premières lueurs de ces éclairs zébrant les cieux sombre et menaçant s'envolaient vers d'autres horizons flamboyants aux couleurs cinglantes, vers ces rivages trop lointain pour qu'un jour il puisse lui aussi s'y échouer.
Jimmy ne savait pas comment chevaucher l'éclair, comment se fondre dans la pluie s'échappant de ces nuages aux allures fières et majestueux, il ne pouvait que rester là, les bras en croix, les yeux tournés vers les cieux et en rire, seul, jusqu'aux sanglots, jusqu'à la noyade.
Une fois encore, une fois de trop, comme si dans son grand livre de l'existence chaque page remplie fiévreusement où l'encre n'avait pas encore pénétrée complètement le papier, le destin venait arracher cette feuille testament, unique trace visible de ces échecs, derniers mots inscrits pour la postérité avant ceux qui décoreront la stèle éternelle.
Jimmy est revenu après ce long périple vers le néant, cette douloureuse quête aux vérités cinglantes. Il s'est assis devant le miroir aux néons usés et a jeté un regard vers ce spectacle s'offrant à lui. Au loin la foule déjà grondait, trépignant d'impatience, poussant des cris et s'agitant, la faim semblait les exciter, la soif les poussait à bout.
Il devait accomplir son vieux rituel, cacher entièrement son visage sous cette poudre blanche, cercler la bouche d'un gros trait blanc, puis les yeux de blanc et enfin dessiner une larme sous l'un des yeux, le gauche comme à chaque fois.
A présent il était prêt, au loin il lui semblait entendre cette douce voix féminine qui lui susurrait "the show must go on, show must go on.....", comment pouvait-il en être autrement, il ne savait faire que cela à présent que la nuit l'avait abandonné.
Jimmy s'est levé tranquillement, a regardé une dernière fois le miroir qui si longtemps lui semblait dissimuler un passage vers la Terre d'Ailleurs, son ailleurs, puis s'avançant lentement d'un pas peu assuré vers le rideaux le séparant de la foule, le tenant encore éloigné de cette arène où aucun fauve ne viendrait mettre fin à son errements, simple morceau de toile au parfum sucré et ocre qui encore le protégeait.
Quand le tambour se fit entendre et que la foule exulta une dernière fois, il ferma les yeux et laissa la lumière vive, si intense lui brûler le visage, seul le premier pas est coûteux, seul la première enjambée sera périlleuse, ensuite le reste sera récité sans aucune passion, aucune déraison. Mais la foule aura droit à son spectacle simple et rassurant, le retour de leur Jimmy...
Jimmy ne finira plus ces nuits sous le poids des larmes et des déceptions, à présent il est libre, son âme à jamais s'en est allée retrouver ses nuits d'ailleurs, à travers le miroir, rejoindre la danse des nuages aux pluies apaisantes, enlacer la lueur de mère Lune, pâleur bienveillante et amante qui si souvent donnait un sens à ses songes.
Jimmy n'a plus d'âme, corps marionnette à la merci de tous, visage au sourire figé mais maintenant sa vie à un sens mais plus la moindre saveur.
Mais c'est mieux ainsi, tellement mieux...