samedi 2 mai 2009

Ultime ligne sans fin.


Plus j'écrivais, alignant ces mots martelés par mon esprit, étirant chacune de mes phrases vers l'infinie douleur secrétée par mon cœur cimetière, laissant entre les lignes l'espace pour redéfinir mes nuits, et plus je sombrais dans cette solitude blessante, dont la fidélité était une de mes rares certitudes. Dans mes heures lunaires, mon âme semble enfin exister, inscrivant son histoire désabusée, comme un conte morbide, héroïne passionnée au regard aveugle et triste , à jamais prisonnière derrière les barreaux de sa cage de glace, laissant là son unique trace visible sur le livre de ma vie, qui semble ne jamais pouvoir s'achever mais que l'aube ennemie vient brusquement refermer.

Textes sombres au goût de désespoir, amertume linéaire s'achevant par ses points de suspension, où mon âme semble soupirer, comme pour reprendre son souffle avant de plonger vers le paragraphe suivant où encore une fois, il ni aura aucun point final, juste quelques interrogations inutiles, comme un appel au secours silencieux, honteusement dissimulé, emmuré derrière une rime aléatoire où une métaphore grotesque mais de circonstance. Tranche de ma nuit, morceaux de mon cœur brisé, qui s'étalent là, sans jamais réussir à vraiment se rassembler pour enfin redonner un souffle printanier à ces teintes automnales où déjà l'hiver vient gercer le moindre espoir, la plus petite illusion.

Écrits réconciliateurs et pourtant destructeurs, loin de tout mensonge, où une vérité, redouté mais nécessaire, fait de mon être charnel un havre tumultueux où viennent s'échouer ces vagues révoltées par les regrets et les erreurs, refoulant cette écume acide jusqu'au bord de mes lèvres glacées, autrefois gardiennes d'un feu au goût de passion, mais dont les braises incandescentes, lentement cessent de briller dans ma nuit, où la solitude s'empresse de les recouvrir douloureusement, de peur qu'elles ne s'enflamment trop violemment, quand le vent du désir se lève dans mon esprit.

Page de papier noircie par ces quelques lettres droites et courbes, testament de mes vices cachés aux confins de ma folie lunaire, quand tout semble enfin perdu et que la raison n'a plus la moindre emprise sur celui qui vit en moi, celui qui, dans sa prison de chair, sait à présent qu'il y a autre chose, ailleurs, cette chose qui aurait pu redonner un sens à ces mots si souvent bafoués, détournés et seulement sussurer quand le voile de la pudeur sensuellement se déchire, laissant apparaître cette chair amante où le désir enfin devient palpable.

Main douloureuse qui accomplit sa tâche ingrate, sbire d'un esprit tourmenté, dont la moindre émotion, la plus infime sensation s'en va finir dans une geôle de papier, étendue là sans aucune forme de procès, dans le seul espoir d'être partagée et comprise, mais seule la poussière semble s'y intéresser et tendrement la recouvre de son long manteau de particules mortes. Main qui autrefois caressait cette peau affolante, créant de véritables odes invisibles sur ces corps concupiscents et, qui aujourd'hui appartient à ce corps musée, dont la seule fonction de greffier ne peut satisfaire son toucher affamé.

Feuille emplie de tant de mots, de phrases se succédant, de paragraphe curieusement alignés dans ce chaos grandissant en moi, comme si mécaniquement mes pensées les plus intimes se résumaient à cette structure, ordonnée et agencé, comme si je pouvais me satisfaire de cette vision, effroyable de par sa simplicité, heureusement nuancée par la valeur et la définition de chaque mot, plantés là minutieusement dans ce grand jardin délabré où à l'automne de ma vie, la floraison semble déjà si lointaine. Jardinier désemparé face à l'ampleur de la tache à accomplir, marin échoué sur ces rivages hostiles et inconnus, rêveur éveillé loin de son sommeil, inspirateur de ces visions trop rapidement effacée par la rosée matinale, larmes de ces muses si souvent ignorées.

Comme un sculpteur dément, tordant ici un verbe singulier, défigurant là un bel adjectif, je compose mon œuvre, malaxant violemment le moindre sujet jusqu'à en modifier l'essence, à en oublier la présence de ces règles frustrantes, pour qu'en fin d'idée, le doute soit encore permis, au passé comme au présent. Les ténèbres où se terrent mes sentiments les plus profonds semblent se mêler à cette lumière fluette, rayon de lune qui s'étalant sur ma feuille après avoir franchi le verre embué, lie les voyelles aux consonnes, mais le futur, imparfait, jamais ne dirige ma phrase.

Ponctuation reposante, juste pour repartir vers ces aspirations grammaticales plus ou moins appropriées, ne laissant aucun choix aux verbes dégroupés et bien inutiles, car quand la ligne vient heurter le bord de la page, sans l'adresse d'un funambule grimé dans son silence, la chute n'atteint pas toujours la dernière ligne.

Ultime ligne, où le mot fin jamais ne s'écrit, comme si ailleurs l'histoire se poursuivait, bien loin de l'horizon nocturne de ces textes inquisiteurs, juste là quelque part dans mon regard, derrière la barrière de larmes inutiles mais trop souvent présentes, au-delà du miroir de la démence, dont le triste reflet de mon âme déjà flétrie, comme si ces pages jaunies, par l'attente insupportable, prenaient leur sources bien plus profondément que ces racines de regrets que mon cœur engrais alimente, me juge et me condamne à écrire sur une nouvelle page, inlassablement la même histoire, recomposée et décomposée, au présent comme au passé, usant et abusant de mots aux sens cachés, mais dont la définition est d'une intolérable précision.

Quand enfin, ma main prisonnière de se cachot d'inspiration, relâche l'étreinte du stylo en fusion, je reste là, les yeux débordant d'étonnement face à cet amalgame de lignes parfaitement horizontales, je me sent enfin en paix, épuisé, vidé mais rassasié comme un amant, dont les caresses et les baisers ont su trouver le chemin de la jouissance, mais toujours avide de nouvelles aventures, d'une future amante page dont la virginité et la pâleur effrayante cache en son sein le plus fabuleux des trésors. Espace immaculé où la passion créatrice, redéfinira pour quelques heures la très étroite frontière entre le plaisir et la douleur, comme si l'un et l'autre dans une folle sarabande étaient à jamais liés. Jusqu'à la dernière note, le dernier soupir, le dernier regard, le dernier mot, rien ne semblera acquis, même si l'essentiel sera préservé, comme un voile de pudeur recouvrant ce sexe féminin, cette fine couverture poussiéreuse se referma inévitablement sur ces quelques pages, n'offrant qu'aux plus entreprenant ou aux plus curieux de partager ici et là quelques émotions.